"Le besoin crée l'occasion" que l'on dit. Cette règle est tout aussi vraie pour les usagers de l'information géographique.
Alors que, très souvent, "on donne du pain à celui qui n'a pas faim" et des sommes considérables sont dépensées pour des logiciels ou des données qui seront sous-exploitées (je sais, vous avez déjà tous vu ça), voilà qu'il y a des utilisateurs potentiels tellement potentiels qu'ils décident de passer à l'acte même sans moyens.
Cette année, dans le cadre de mon travail, j'ai eu l'occasion de voir deux exemples assez paradigmatiques des "projets SIG low-cost". Projets qui, je présume, représentent une partie non négligeable du total des projets SIG en France.
Le premier est le cas d'une petite collectivité provençale, moins de 5000 habitants, dont le directeur des services techniques a développé son SIG communal avec un cheminement assez original. Parrainée par un organisme d'Etat, cette commune a participé à un
projet INTERREG à thématique environnementale. Dans le cadre de ce projet, on les aide à adhérer au
CRIGE PACA, on leur conseille d'utiliser le
logiciel FGIS, on leur fournit des données de référence IGN et des données sur l'environnement produites par le projet.
Sur cette base, ce directeur a investi des heures de travail à comprendre le fonctionnement de son logiciel, à créer de nouvelles données de gestion des réseaux, des espaces verts, de la voirie, en fonction de son propre besoin et de sa propre vision. Il a été assez rapidement limité par quelques es fonctionnalités de FGIS (notamment les fonctionnalités d'importation de fichiers, de géoréférencement d'images, et de modification du SRS des données). Cela dit, il maintient à jour ses données en fonction de son plan de travail et le système est en exploitation.
Le deuxième cas est celui d'une coopérative agricole du Sud-Ouest qui souhaite caractériser son parcellaire. Cette petite coopérative (une poignée de salariés dans l'entrepôt et sur le terrain) embauche alors un technicien SIG pour 6 mois avec la commande de créer un SIG qui sera utilisé pour la traçabilité des produits et pour le suivi cultural. Le technicien se trouve tout de suite confronté au manque de données. Une solution est trouvée avec les collectivités de sa région qui lui fournissent temporairement des images aériennes sous une convention de prestation de services. En échange, ces collectivités récupèreront les données produites par la coopérative.
Un travail de numérisation du parcellaire avait été réalisé par le technicien "cultures" de la coopérative
à partir des images SPOT 5 disponibles sur Google Earth (!), il est à reprendre complètement car trop imprécis. Ce travail, ainsi que le renseignement des parcelles, est réalisé avec le
logiciel GVSIG couplé à une base de données PostgreSQL. La plupart des informations sur les parcelles sont disponibles en papier, tout est ressaisi à la main. Un lien est réalisé avec la base de données du logiciel de suivi culturel de la coopérative. Le technicien "cultures", seul utilisateur, a été formé à l'outil. Les bases de données sont relativement stables car elles concernent des cultures pérennes.
A l'ère des IDS, ça m'a fait plaisir de voir que l'on peut toujours faire sa petite application bien ciblée avec trois francs six sous. Au delà de mon plaisir perso-professionnel, ces projets ont quelques élements qui méritent d'être analysés :
1. Dans les deux cas, les responsables ont été confrontés au manque de données géographiques de référence. L'un a la chance de travailler pour une commune à l'est du Rhone et donc d'avoir accès aux facilités offertes par le CRIGE PACA. Le deuxième a encore plus de chance, car plusieurs collectivités de sa zone de travail lui ont prêté des données dans une démarche de coopération public-privé assez intéressante. Ce sont deux exemples de comment s'en sortir pour obtenir des données de référence sans contrevenir à la loi, mais combien de cd's de BD IGN se baladent dans la nature, dans les grandes comme dans les petites structures, publiques ou privées ? A quand une politique de prix nationale qui prenne en compte les ressources financières des utilisateurs de l'information? Cette idée, précisément évoquée par un élu PACA
lors du séminaire GRISI CAP, me semble particulièrement intéressante. D'ailleurs j'ai bien dit nationale, car sinon il me semble que dans le Midi (hors PACA) l'avancement de la politique sur l'information géographique a du chemin à faire (même si l'on y travaille!).
2. Ces SIG ont aussi en commun l'utilisation de logiciels libres ou gratuits. L'arrivée à maturité de nombreux projets Open Source rendent naturel le choix de logiciels tels que :
- SIG "client lourd" : GV SIG, QGIS/GRASS, UDIG
- SIG "serveur" : Mapserver, Geoserver
- SIG "client léger" : Cartoweb, Open Layers
- SGBD spatial : PostgreSQL/PostGIS
- Import/export de formats : FWTools / Open EV
- Metadonnées et catalogues : Geonetwork, MDWeb, CatMDedit
- Traitement d'images : Ilwis
A la différence des données, les logiciels (du moins ceux fonctionnant sur un simple PC) ne supposent plus une charge pour la plupart des petits projets SIG. Même pour les applications serveur, le coût de l'hébergement s'est énormément démocratisé depuis 2 ans. Par contre, en ce qui concerne l'installation, l'installation serveur reste plus complexe alors que pour les installations monoposte, même dans le cas d'un néophyte, le temps à passer dans l'installation et la prise en main est relativement court (quelques jours).
Puisqu'il s'agit de logiciels libres, il n'y a pas (le plus souvent) ni d'offre commerciale ni de proposition de support technique. Le temps à passer dans la résolution de problèmes de manipulation et de configuration peut être important et proportionnel à la diffusion effective du produit.
3. Dans les deux cas, il s'agit d'applications simples avec un nombre très limité d'utilisateurs autour d'un poste de travail unique et mis en œuvre au sein d'une petite organisation (moins de 30 personnes). On constate alors que ces projets n'ont pas prévu de coût de coordination des utilisateurs internes et externes. Pas d'administration des droits des utilisateurs ni de systèmes de sécurisation des données, car les données ne sont ni accessibles ni "sensibles". Le petit nombre de thèmes traités justifie le manque d'un catalogue pour la gestion et le partage de données. Ils ne passeront pas de temps dans des réunions de comité de pilotage ni dans la rédaction de documents de rapport ou d'évaluation, et pourtant leur système continuera à être exploitable et productif.
Facile alors de créer son SIG, quand on n'a pas à travailler avec une pléiade de partenaires, ni à diffuser ses données en ligne ni à les documenter ! Enfin, facile jusqu'au jour où l'on est tous encouragés (on arrive à INSPIRE!) à réfléchir/travailler ensemble et à rendre accessibles nos données en ligne. Il faudra alors que l'on prépare des méthodes et des outils (technologiques, pédagogiques, financiers) qui permettront à ces petits SIG de venir rejoindre ces grandes IDS sans que cet effort ne les essouffle.